1918 : quand Bordel rimait avec Marcel

« Proust Marcel, 46 ans, rentier, 102, Boulevard Haussmann ».
La mention est inscrite dans un rapport de police daté de janvier 1918. Il consigne la présence de l’auteur dans un bordel pour hommes.

Au 11 rue de l’Arcade, dans le quartier de la Madeleine à Paris, l’hôtel Marigny existe toujours mais l’établissement n’abrite plus que des touristes et des proustophiles émus de constater que son souvenir est discrètement honoré par un portrait dans l’entrée. C’est là, dans un salon, au rez-de-chaussée, que sa présence fut constatée, attablé à consommer du champagne en compagnie du maître des lieux, Albert Le Cuziat, 36 ans, et de deux jeunes militaires en convalescence, Léon et André. Une « beuverie » dans le jargon policier, d’« individus aux allures de pédérastes » note, en expert, le commissaire Tanguy de la Brigade des mœurs en charge de la surveillance des maisons closes.

L’endroit est signalé comme « servant de refuge à des homosexuels » « et où l’on consomme après les heures réglementaires », ce qui des deux faits est le seul répréhensible dans une France qui n’interdit, depuis la Révolution, ni les relations entre personnes du même sexe ni la prostitution. La descente de police fait suite à la réception d’une lettre anonyme, dénonçant la tenue d’une « noce ignoble » dans cet hôtel surveillé et soupçonné de « faciliter la réunion d’adeptes de la débauche antiphysique ». Dans les chambres de passe, plusieurs couples d’hommes sont trouvés, des messieurs avec des jeunes gens de 17 à 19 ans, tous mineurs pour l’époque et c’est là le plus grave.

Le tenancier sera condamné à 4 mois de prison et 200 francs d’amende pour incitation de mineurs à la débauche et vente de boissons après l’heure réglementaire. Marcel Proust, lui, ne sera pas inquiété. Son nom ne paraitra pas le lendemain dans les journaux à son grand soulagement.

Mais plus que fréquenter ce bordel, le plus étonnant, sans doute, est qu’il en est en quelque sorte le mécène. Albert Le Cuziat, identifié également « comme pédéraste » par la police, est plus qu’une connaissance de l’écrivain, presque un ami. Il le rencontre en 1911, lors d’une soirée mondaine chez un comte russe pour qui il travaille comme domestique. Valet portant beau, il est spécialisé depuis son plus jeune âge dans le service de l’aristocratie homosexuelle parisienne. Proust est subjugué par l’étendue de ses connaissances en matière de protocole et de généalogie et le rémunère aussitôt pour les renseignements qui pourraient venir nourrir son œuvre. Il le surnomme avec affection « mon Gotha vivant » et n’hésite pas à l’inviter chez lui pour recueillir ses confidences. Mais la science d’Albert Le Cuziat ne s’arrête pas là et comme l’entremetteur Jupien, sa figure transposée dans La Recherche, il rend bien d’autres services à ces messieurs.

Quand, en 1913, Le Cluziat se met à son compte et ouvre un établissement de bains dont l’usage ne fait guère de doute, c’est avec le soutien financier de Proust qu’il le fait ! Idem, quatre ans plus tard, quand il reprend l’hôtel Marigny pour en faire une maison de passe pour homosexuels, sélecte puisqu’elle reçoit hommes politiques et même ministres. Dans La Recherche, le baron de Charlus pratique de même quand Jupien ouvre son Temple de l’Impudeur.

Mais plus surprenant encore, c’est le don de meubles hérités de ses parents que Proust fait à Le Cuziat, lequel s’en sert pour aménager sa chambre personnelle mais aussi le hall d’entrée de son établissement : canapés, fauteuils, tapis... ainsi foulés aux pieds par prostitués et clients. Certes, ce mobilier sans grande valeur, dormait dans une remise. Mais quand on connait l’attachement que le petit Marcel vouait à ses chers parents, on a du mal à n’y voir qu’un geste charitable.
Quel sens cela avait-il donc pour quelqu’un qui devinait un sens caché en toute chose ?

Quand Proust découvre l’usage que Le Cuziat a fait de ses meubles, il en est indigné. « Pour des besoins écœurants », aurait-il dit. Un peu comme le Narrateur, dans la Recherche, s’exclame quand il retrouve les meubles de Tante Léonie dans un bordel : « J’aurais fait violer une morte que je n’aurais pas souffert davantage. »
Alors, inconscience ou jouissance perverse ?
7 年 前
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joan323232
joan323232 7 年 前
Marcel était quelqu'un de très intelligent et très compliqué, qui se délectait de disséquer les sentiments jusqu'à la plus infime parcelle. A mon avis on peut répondre oui à tes deux propositions... et peut être aurait-il trouvé encore une myriade d'autres réponses!
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trisex
trisex 7 年 前
Ah les petits cochons...
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